Quand une globe trotteuse décide de créer sa vie autour de sa passion

Elinor après 8h  mushing par -35 °C
Elinor après 8h de mushing par -35 °C

Faire de sa vie un rêve et de son rêve une réalité. Ce mantra aux relents de diabolo menthe, certaines et certains ne font que le répéter.

Certains n’en font qu’une partie de leur CV.

Et d’autres construisent leur vie autour de ce but. C’est le cas d’Elinor Zucchet, qui nous parle de la façon dont elle a concilié rêves de voyage et réalité matérielle de la vie.

Et si vous laissiez tout tomber pour aller vivre votre rêve ? Faire le tour du monde en auto-stop, aller élever des chèvres dans les Andes ou vivre dans une tribu Masaï, nous sommes nombreux à caresser ces envies d’ailleurs et d’autre chose. Force est de constater que, souvent, le quotidien nous rattrape et les factures à payer, les contingences de chaque jour tout comme les obligations – plus ou moins contraintes – de la vie moderne nous font accepter ces sacrifices.

Aventure, vie et galères en vue

Sauf à avoir construit sa vie autour de ces objectifs de liberté et de vie alternative, comme l’a fait Elinor Zucchet, qui partage avec nous son parcours d’aventure, parcours de vie et, parfois, de galère.

Elle a 39 ans aujourd’hui, pas d’enfant et un couple construit avec un autre nomade des temps modernes, c’est depuis Sitges (Espagne) qu’elle nous parle. Elinor a suivi un parcours relativement atypique dès le début de sa scolarité d’adolescente. “Cette passion est née de mon premier voyage à l’étranger en solo.” Explique la voyageuse. “C’était un voyage scolaire à Londres – grand classique – et pendant que les autres passaient leur temps à jouer ou à faire les ados, je ne pouvais m’arrêter de regarder les paysages, les panneaux routiers différents et les habitudes si surprenantes que je découvrais.

Soutien Familial primordial

L’environnement familial d’Elinor lui permet d’envisager des voyages avec un peu plus d’aisance que les familles moyennes, une chance pour elle qui n’en demande pas plus “J’avais la volonté d’aller aux USA. Le financement du voyage a été découpé en cadeaux de Noël et d’Anniversaire. Je mettais de l’argent de côté pour y parvenir. C’était un investissement familial pas uniquement matériel, j’ai eu avant tout le privilège de naître dans une famille qui a compris l’importance des voyages et des langues dans le développement d’une personnalité.

En Alaska
En Alaska

Selon la globe-trotteuse, “Le système scolaire français n’étant pas très flexible, j’aurais aimé faire quelque chose au niveau des sciences et de la biologie, donc un domaine scientifique. En parallèle, je voulais étudier les langues, donc un domaine littéraire. C’est malheureusement impossible en France. Je me suis lancée dans du littéraire là où je pense que j’aurais aussi pu m’éclater encore plus dans la biologie animale.” regrette-t-elle.

Sortie du lycée, Elinor part pour 6 mois aux USA où elle rêve de retourner après un stage de surf à 15 ans. “Mes parents ne pouvaient pas payer les frais d’une université aux USA, nous avons trouvé une alternative dans un lycée au sein d’une famille d’accueil. J’ai donc à la fois travaillé et étudié durant ce semestre aux Etats-Unis.

Revenue des USA, avec un projet plus mûr, Elle se lance, malgré la mauvaise presse d’un certain tourisme de masse qu’elle considère mal géré, dans une formation “Master en European Tourism Management” au sein de l’IUP de Chambéry. Ces études l’amènent à faire des stages en République dominicaine, six mois en suède et six autres mois en Espagne.

Trouver ou créer des opportunités

Etudes terminées, Elinor part s’installer à Barcelone à la recherche d’un boulot, où vivait son amoureux d’alors. Elle trouve aisément un premier travail en tant que réceptionniste dans un hôtel. Elle quitte cet emploi et travaille durant 8 ans pour une agence française de séjour linguistique à l’étranger, gravissant les échelons doucement mais sûrement au sein de la structure.

Le hasard ne faisant rien sans raison, Elinor se blesse gravement dans un accident. Plusieurs mois d’immobilisation, des idées et de l’imaginaire plein la tête. Elle retourne dans un bureau, mais s’y sent trop à l’étroit. A cette époque précovid, le télétravail n’a pas la reconnaissance qu’on lui a donnée aujourd’hui. C’est donc frustrée et en manque de voyages que celle qui pose rarement son sac à dos cherche un moyen de concilier mobilité et revenus financiers.

Elle s’accorde un mois de vacances en Scandinavie, pour faire le point et, surtout, remettre en route sa machine à voyager. “Disposant de pas mal de cordes à mon arc, je me suis penchée sur la traduction et la rédaction web” explique Elinor, consciente que le marché du travail en Espagne lui permettrait, dans tous les cas, de rebondir en cas d’échec.

Une agence suisse de séjours linguistiques contacte Elinor pour travailler avec eux  à de la rédaction/ traduction d’articles. Elle permet à cette agence d’apporter un morceau de culture française à son offre.

Établie en tant que Freelance, en 2 ou 3 mois Elinor parvient à vivre correctement de son activité professionnelle, en multipliant les contrats et les petits travaux. C’est après 3 ou 4 années de tout-venant qu’elle a décidé de lever le pied et de devenir un peu plus regardante sur les travaux qu’elle réalise.

Sous les aurores boréales, Elinor et son conjoint à Lofofen
Sous les aurores boréales, Elinor et son conjoint à Lofofen

Aujourd’hui, avec mon conjoint nous sommes devenus des digital nomades qui ont un chez eux. Nous aimons avoir un nid douillet comme les Européens.” ajoute la rédactrice.  “Si nous adorons partir, nous aimons autant revenir aussi.”

C’est sans doute sur ce point que la notion de digital nomadisme (la capacité de travailler depuis n’importe quel point du globe) se différencie de l’Amérique du Nord. Jusqu’au COVID, aux Etats Unis, près de 20 %  de la population déménage chaque année, contre à peine 10 % des foyers français.

Le Nord ou rien !

La suite est logique. Elinor multiplie les voyages et se focalise sur les régions arctiques. Tombée amoureuse pour la Laponie Suédoise, Elinor change du tout au tout, de son mode de vie à ses destinations de vacances, tout sera teinté d’aurores boréales et de nuit polaire dans sa vie.

On me traitait de folle lorsque j’allais dans ces régions. Alors qu’il y a une magie et une poésie dans les zones arctiques. On est dans l’apogée du sauvage en Europe. Notre continent  est aujourd’hui très développé et peuplé et rares sont les occasions de se retrouver face à soi-même. Et, contrairement aux idées reçues, lorsqu’on est bien équipé, les températures négatives ne sont pas du tout un problème !” termine la voyageuse.

Son étoile du berger, ce sont les aurores boréales et la nuit polaire. “Ces phénomènes inconnus sous nos latitudes trop basses créent des couleurs toujours changeantes. S’il ne fait jamais vraiment ni nuit, ni jour, le ciel se pare en permanence de nouvelles teintes émouvantes. Quant aux aurores, ce sont des manifestations de la magie de l’univers. Des particules, venues du soleil, créent cette danse magique dans la voûte céleste.

La magie des aurores Boréales comme ici à Finnmark
La magie des aurores Boréales comme ici à Finnmark

La culture scandinave me convient“, ajoute-t-elle. “C’est une fusion permanente avec la nature et, à l’opposé de l’image qu’on en a, si elle est très cosy en hiver, les gens vivent énormément dehors et une vraie vie sociale et de plein air existe dans ces pays froids.

Avoir plusieurs cordes à son arc

Aujourd’hui, Elinor mixe les métiers ; Rédactrice, elle propose des services de traduction, de tourisme ou encore de photographie des zones visitées. C’est la multiplicité des compétences qui donne à cette femme la sécurité de toujours rebondir. Comme elle l’explique “si un pays entre en crise, il faut savoir partir et ouvrir une autre destination pour toujours être dans le haut de la vague, sans donner l’impression qu’on fuit ce pays mais en offrant une autre de ses compétences, ailleurs” conseille-t-elle aux futurs nomades.

Le COVID a été une vraie leçon pour les entreprises

Selon la travailleuse nomade “Je comprends que les entreprises aient des craintes quand elles n’ont jamais testé le télétravail ni le nomadisme. Mais lorsque de bonnes relations sont en place entre entreprise et salarié, travailler depuis n’importe où n’a aucune importance. Les entreprises devraient établir des objectifs avec les salariés plutôt que de marquer à la culotte chacun, avec la tradition industrielle de la pointeuse à l’entrée de l’usine.

Pour Elinor, “le moment est idéal pour se lancer dans l’emploi nomade. Les esprits ont été bouleversés par la crise sanitaire et les entreprises ont enfin compris l’impact qu’avaient les déplacements sur la qualité du travail de leurs salariés. Lorsqu’on n’a plus à se soucier de trouver une nourrice, passer des heures de transport en commun ou dans les embouteillages, on est mieux dans son travail et plus efficace.” A condition d’être rigoureux et de savoir ériger les barrières entre vie professionnelle et vie personnelle, évidemment.

Etre une femme ailleurs dans le monde ?

En tant que femme, je n’ai pas l’impression d’avoir rencontré beaucoup d’obstacles. J’ai toujours voulu des environnements de travail internationaux. Cela ouvre l’esprit des personnes qu’on rencontre.” explique Elinor. Amenée à travailler tant avec des supérieurs hiérarchiques hommes que femme, la rédactrice a conscience que les personnes qu’elle côtoie sont comme elle, ouvertes d’esprit et en avance de quelques années sur la pensée dominante, ce qui facilite les échanges.

Etre une femme Européenne implique de ne jamais oublier nos privilèges
Etre une femme Européenne implique de ne jamais oublier nos privilèges

Une chose est certaine, dans la majorité des cas, on rencontre des gens bien partout. Il faut juste avoir un peu de bon sens et être prudente où que l’on se trouve. Mais il n’y a pas de mieux ou de moins bien, du moins dans les régions que j’ai pu fréquenter” insiste Elinor.

Responsabilité des écoles

Selon la voyageuse, en France et en Europe du Sud “L’école ne crée pas des esprits assez autonomes pour proposer aux futurs adultes de se faire leurs carrières. Le système scolaire ne laisse pas assez de place pour le think out of the box.” commence-t-elle.

Si on sait aujourd’hui que le système nordique fonctionne, les pays du sud de l’Europe continuent d’appliquer les mêmes recettes. “J’étais très créative en France lorsque j’étais enfant, mais le système scolaire m’a coupé les ailes dans cette créativité. Il suffit de comprendre comment avoir de bonnes notes et d’appliquer la méthode, pas de montrer ce dont on est capables.  Dans les pays du nord, la place est laissée à la créativité. Les notes, par exemple, ne sont jamais définitives et une place est laissée à la négociation et la discussion avec les enseignants lorsqu’un élève n’est pas satisfait de la notation obtenue.

La place des femmes dans le tourisme 

Elinor n’a constaté aucune différence de traitement entre hommes et femmes dans les pays du nord où, selon elle “le monde du travail est plus juste et inclusif”. Il n’est que deux pays dans lesquels elle a pu remarquer une choquante différence, Dubaï et certaines îles d’Indonésie. “Par exemple, mon ex-conjoint ne parlait pas anglais à Dubaï et, partout, on m’a ignoré en regardant l’homme, attendant qu’il prenne l’initiative et qu’il pose les questions. A l’hôtel par exemple, nos passeports ont été retenus à la réception. J’ai appelé un grand nombre de fois sans effet là où il a suffi à mon partenaire un seul appel pour que les passeports nous soient restitués.” De là à parler de l’impact religieux, Elinor refuse de passer le pas “On est plus ici dans une question complexe d’éducation, de politique et d’individualités que face à une question religieuse” contraste-t-elle.

Etre une femme en 2022

Dans nos sociétés occidentales” commence la jeune femme “on n’a pas trop à se plaindre malgré tout. J’ai souvent tendance à me dire qu’il y a nettement pire ailleurs. Ayant voyagé avec notamment des gens venant d’Iran, je me rends compte de la chance que j’ai. Il faut continuer de lutter pour nos libertés mais on a fait des progrès incroyables en peu de temps. On a beaucoup de bonnes choses dans nos pays, il ne faut pas oublier ça. Les réflexes doivent venir autant des hommes que des femmes.” répond Elinor.

Par exemple, la fameuse question des enfants est souvent posée, sans avoir en tête que certains couples ne peuvent tout simplement pas avoir d’enfants. “La blessure peut être douloureuse pour ces personnes” ajoute Elinor. 

Au féminisme, faut-il ajouter l’empathie ?

Romane Bohringer : “Mon endroit d’équilibre c’est le théâtre depuis toujours..”

Au théâtre, en tournée actuellement dans toute la France avec la pièce “L’occupation” sur un texte de l’écrivaine Annie Ernaux1, Romane Bohringer qui commença sa carrière à l’âge où les autres filles jouent encore aux billes, a gentillement accepté de nous rencontrer nous accordant son entière disponibilité et se prêtant au jeu des questions entre deux représentations. Une longue interview investie et habitée, à l’image de sa générosité.

Ce qui frappe quand on rencontre Romane Bohringer c’est sa sensibilité et sa simplicité. A mille lieu des strass et des peoples, à des années lumières de l’image d’artiste torturée qu’elle véhiculait parfois, Romane est une femme bien ancrée dans sa génération, une femme à la carrière exemplaire qui n’a plus rien à prouver et qui se fiche des apparences. Attentive à l’autre et aimant véritablement la gente humaine, cette enfant de la balle, est très proche de ses collaborateurs (techniciens, régisseurs, assistant mise en scène etc…) qui constituent pour elle une véritable “famille”. Ce jour là, Romane et son équipe, avaient organisé un barbecue improvisé sur le parking du théâtre en toute décontraction dans une ambiance de franche camaraderie.. Du jamais vu dans le milieu parfois guindé du spectacle dit “culturel”.
Les personnes ayant eu la chance de travailler avec elle évoquent quelqu’un d'”exigeant artistiquement”, “une véritable bosseuse” qui ne se contente pas de la médiocrité là où d’autres comédiennes misent tout sur leur notoriété. Romane Bohringer s’intéresse véritablement aux gens. Nous qui avions peur de la brusquer, finalement c’est elle qui nous a capturé.

Vous êtes actuellement en tournée au théâtre avec le spectacle “L’occupation” sur un texte d’Annie Ernaux, qui traite de la jalousie dans le couple, pouvez-vous nous le résumer pour nos lecteur.ice.s qui ne l’auraient pas encore vu / lu ?

C’est le récit d’une femme qui plonge à un moment de sa vie dans un sentiment de jalousie obsessionnel et assez destructeur. Elle est tout à coup envahi par un sentiment qu’elle ne connaissait pas qui est celui de l’obsession amoureuse de la dépossession de soi-même. “L’occupation” c’est donc une femme qui a quitté un homme et quelques mois après elle apprend que cet homme s’est remis avec une femme ; et à partir de ce moment là alors qu’elle l’avait quitté, alors qu’elle en était détachée, que ça venait de sa propre décision, l’existence d’une autre femme dans la vie de cet homme va la plonger dans une perte de contrôle et Annie Ernaux explore ce moment avec toute la beauté de sa langue.

Est-ce qu’elle vous ressemble cette femme qui a la quarantaine et est à un tournant de vie, comme on l’imagine ?

Pas seulement à moi. Les immenses auteurs – et je pense qu’Annie Ernaux est une immense autrice – ce n’est pas seulement à moi, elle a une capacité à capter, à décrire, en passant par elle car la chose incroyable sur Annie Ernaux c’est que de tout temps elle écrit sur elle, sur sa vie sociale, de femme, c’est le génie, elle touche à l’humain de manière tellement forte qu’elle parle de toutes. Elle comprend l’humanité, femmes, hommes, c’est ça qui est époustouflant dans son écriture.
Après je peux dire plus spécifiquement que quand j’ai lu le texte oui il touchait en moi des choses. L’histoire d’une grande obsession suivi d’une grande délivrance pour qui est passé par là on s’y reconnaît. Il y a des moments où je me sentais assez proche de ce qui était dit dans le texte.

Romane Boringher – Crédits Romy Zucchet

Vous souvenez-vous de tous les personnages que vous avez incarnés ? Est-ce qu’il y en a qui vous ont accompagnés, suivis pendant longtemps ?

Il y en a des plus marquants que d’autres dans une vie. Beaucoup plus au théâtre qu’au cinéma. Au cinéma il y a des personnages très forts mais ce sont des films, des objets individuels et singuliers. Au théâtre il y a le texte et les textes peuvent vous accompagner vraiment toute une vie et c’est très différent. Il y a des films que j’ai fait qui m’ont marqué pour leur qualité cinématographique pour l’expérience que cela a été mais je ne peux pas dire que des personnages ont continué de m’habiter alors que je peux dire que des textes de théâtre m’ont accompagnés très longtemps. Avoir la chance d’être comédienne au théâtre et d’interpréter des textes c’est comme se remplir sa propre bibliothèque intime et comme on les apprend et “performe” sur scène il y a cette dimension physique aux textes. Et puis la littérature c’est quelque chose qui dépasse l’image, c’est sûr que quand on joue Shakespeare à 20 ans, Brecht à 25, Tenessee Williams ce sont des auteurs qui vous quittent jamais on se souvient toujours, quand je tombe amoureuse je pense toujours à Roméo et Juliette, c’est des auteurs qui ont eu des mots tels.. C’est le texte qui vous accompagne. Une fois qu’on est riche de ça, notre plus grande mission c’est de les transmettre de la manière j’espère la plus populaire possible pour montrer à quel point la littérature est proche et concrète et source de progression sociale, humaine à quel point à l’encontre de l’idée qu’on peut s’en faire c’est quelque chose qui s’adresse à tous.

Quand j’éprouve un texte c’est mon vœu le plus cher que je réussisse à transmettre ce qu’il me procure comme force dans ma vie donc au delà des rôles ce sont les textes qui m’ont accompagnés longtemps et aidée.

Vous avez incarnées beaucoup de femmes dans votre carrière, certaines qui portent des choses lourdes, êtes-vous une femme engagée dans la vie ?

Je ne pourrais pas dire ça, au contraire même.. Je regrette de ne pas l’être mieux ou plus. Je suis extrêmement sensible au monde qui m’entoure, je suis extrêmement poreuse, j’ai les yeux grands ouverts mais je pourrais pas dire ça parce que j’aurai l’impression de mentir par rapport aux gens qui en font le sel de leur vie. moi je me ballade avec un cœur sensible, je suis engagée a essayer de ne pas être une trop mauvaise personne. La seule manière est à travers mes choix, participer à des objets pas trop honteux qui disent quelque chose si possible du monde qui est le nôtre, ne pas céder à la médiocrité, j’ai du mal à dire engagée par rapport à ceux qui le sont vraiment. A partir du moment où l’on est connu il y a une forme de timidité à se mettre en avant. Je voudrais faire beaucoup mais c’est un peu compliqué, ne pas se laisser submerger, ne pas savoir par où commencer ni comment faire.

Vous dites “avoir les yeux ouverts sur le monde”, vous avez donc entendu parler du mouvement “Me too” et plus spécifiquement le “Me too” lié au domaine du théâtre, quel regard portez-vous sur ce phénomène ?

Alors là vraiment vous me lancez sur un sujet très difficile pour moi. je trouve évidemment la nécessité absolue que les voix sortent, explosent cela regroupe tout. Cela devrait être.. autour des silences des injustices, la voix des femmes, des enfants, des invisibles, tous les gens qui se battent tous les jours pour faire entendre à quel point la justice n’entend pas les violences faites aux femmes, aux enfants, dans les hiérarchies. Je sens que tout le mouvement, enfin le cri que l’on sent pousser de partout est évidemment incontestable et je suis encore une fois admirative des gens qui vont au devant, qui prennent les coups en première ligne, qui démontent, qui détruisent les systèmes en place. J’ai l’impression qu’il y a un mouvement qui est lancé et que l’on ne pourra plus revenir en arrière, mais parfois on dit ça et.. J’ai l’impression, mais peut-être qu’elle est fausse quand on voit dans les autres pays, mais j’ai l’impression que mes enfants ne sont déjà pas les enfants que l’on était nous et les mots qu’ils entendent, les choses dont on leur parle, ils connaissent des choses que l’on ne connaissait pas. Leurs consciences, je l’espère, du fait de toutes ces voix, seront plus affutées que les nôtres.

Sur le “Me too théâtre” en particulier, je suis un très mauvais exemple parce que je n’ai eu que des expériences magnifiques avec des hommes metteurs en scènes et des partenaires masculins merveilleux et d’une grande délicatesse, donc je regarde avec admiration celles qui arrivent à dire ce qu’il leur est arrivé. Moi j’ai vécu dans un monde tout à fait respectueux, entourée de gars supers et pourtant j’ai commencé très jeune avec beaucoup d’hommes et de femmes. Je regarde ça avec soulagement pour ceux qui arrivent à défaire un système dont ils ont été victimes mais mon histoire personnelle me rend plus témoin qu’actrice. J’ai vécu dans un monde de théâtre tout à fait magnifique.

Romane Boringher – Crédits Romy Zucchet

Vous parliez de vos enfants, quelles valeurs souhaitez-vous transmettre à la future génération ?

La seule trace que je pourrais laisser c’est par le choix des films qui restent, des histoires si possible éclairantes, inspirantes pour regarder le monde autrement, essayer de tracer quelque chose de vertueux. Pour les enfants, évidemment je suis comme beaucoup de gens très assombrie par le spectacle qui s’offre à eux maintenant donc je suis bien démunie pour vous dire ce que j’aimerai leur laisser comme valeur. On avance dans une incertitude complète, dans une violence inouïe, je les regarde avec beaucoup d’inquiétude.

Quelle type de femme êtes-vous au quotidien ? Quel regard portez-vous sur l’amitié, la famille ?

Je suis de nature plutôt discrète, j’aime bien faire mon métier, je suis normale. J’ai des amis fidèles depuis très longtemps, je suis plutôt une fille de troupe donc j’aime être avec les gens c’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi ce métier, être en troupe, faire famille, je suis plutôt famille recomposée. Je suis discrète mais en même temps sociable , je ne suis pas du tout solitaire avec une vie articulée autour de mes enfants.

Vous avez tout joué que ce soit au cinéma, à la télévision comme au théâtre, vous avez récemment réalisé (un film et une série), quel exercice préférez-vous ?

Mon endroit d’équilibre c’est le théâtre depuis toujours même si j’ai fait beaucoup de cinéma et j’adore le cinéma je suis une grande spectatrice de cinéma, par exemple, j’adore les films, j’adore l’image mais mon endroit de plénitude et de complétude c’est le théâtre. J’aime tout au théâtre, j’aime aussi la vie que ça implique, j’ai toujours aimé – un peu moins avec les enfants – mais la troupe, les gares, les théâtres, les hôtels, c’est vraiment une vie qui m’épanouit complétement. Comme je vous disais j’aime les textes, j’aime monter sur scène et puis récemment le fait d’avoir réalisé ça m’a beaucoup beaucoup plu. Je tente de commencer à écrire mon deuxième film. Si je n’y arrive pas.. Il y a dans l’histoire du cinéma des femmes et des hommes qui ont fait un film et puis un seul, mais c’était tellement un bouleversement dans ma vie de faire ça, j’ai tellement aimé ça que j’attends désespérément d’avoir un espèce d’éclair pour aller vers ma deuxième histoire, j’aimerais tellement refaire ça.


Et écrire pour le théâtre ?

J’aime les mots des autres, l’écriture c’est très difficile pour moi, ce n’est pas mon truc. Ce que j’ai aimé c’est avoir une équipe, réaliser, diriger des acteurs, le plateau, les filmer, les regarder j’ai adoré le montage, le mixage ça a vraiment été une aventure démente pour moi.

Quels ont vos futurs projets ?

Le Festival d’Avignon Off en juillet pour “L’occupation”, c’est un texte que j’aime tellement que je peux jouer jusqu’à soixante dix ans car Annie Ernaux parle d’une période passée de sa vie. Il est inépuisable car il est riche et il n’a pas d’age – on nous bassine tellement avec ça. Elle c’est une sacrée femme, elle a plus de choses à raconter que moi sur les femmes (rires) il faut lui faire un numéro spécial.
J’ai joué dans le premier film d’une jeune femme que j’aime beaucoup qui s’appelle Julie Laura Garçon son film s’appelle “Petites” et il est en train d’être fini.

Vous dites que l’on “vous bassine avec l’âge”, c’est difficile pour une femme de vieillir au cinéma ?

Dans notre métier c’est encore plus difficile que dans la vraie vie j’imagine, vous entendez “t’as plus l’âge du rôle”, “après cinquante ans il n’y a plus de rôles” à plus de cinquante ans on se partage un nombre très restreint de rôles disponibles, non seulement les compétences sont réévaluées mais il y a un truc physique. Au théâtre les questions d’âge sont nettement moins présentes qu’au cinéma. Sur scène on peut tout jouer, c’est assez salvateur du point de vue théâtre.

Finalement, une femme brillante pour vous qu’est-ce que c’est ?

Une femme Brillante serait une femme libre ? Énormément de femmes m’inspirent, il y en a pleins qui me viennent au détour de leur parole, mais étant donné le contexte, je dirais Annie Ernaux.

Propos recueillis au Théâtre de la Colonne de Miramas, le 29 mars 2022. Un grand merci à Romane !

1 Annie Ernaux – L’occupation – Editions Gallimard / Folio

Clara Fortin, portrait d’une jeune navigatrice hémophile en quête de normalité

Tout sourire, rayonnante et heureuse. C’est l’image qu’on a immédiatement de Clara lorsqu’on la rencontre pour la première fois. Cette normande est bourrée de projets, d’idées et d’envies. Elle bouffe, aujourd’hui, ce quotidien que la vie ne lui a pas toujours rendu rose. Elle est atteinte d’une maladie rare chez les femmes, l’hémophilie et a subi les affres d’un corps médical encore sous informé.

“C’est à l’âge de 8 ans, alors que mon papa de 40 ans a besoin d’une intervention chirurgicale que toute la famille a été testée et que moi, j’ai tiré le gros lot”. C’est la manière dont Clara parle de cette anémie qui l’accompagne au quotidien. Elle a appris à vivre avec cette maladie génétique qui affecte aussi les femmes. “Les femmes sont vues comme correctrices du gène provenant de l’homme” nous explique Clara. “L’hémophilie est portée par le chromosome X. Les hommes dont ce chromosome est atteint déclarent invariablement la maladie. Porteuses de deux de ces chromosomes, les femmes peuvent en n’ayant qu’un seul chromosome atteint, atténuer voir corriger ce déséquilibre chromosomique.” ajoute-t’elle.

Clara, Enfant

Navigatrice et militante associative

Il faut reconnaître que cette maladie ne lui a pas fait de cadeaux à Clara. Aujourd’hui, membre active de l’AFH (association française des Hémophiles), la navigatrice a appris à dompter et mettre en place les parades contre les manifestations de cette caractéristique qui présente un impact fort sur la coagulation. Elle nous explique “Lorsqu’une personne saigne, le sang est programmé pour coaguler, former un caillot et que le saignement cesse rapidement. Lorsqu’on est hémophile, ce n’est pas le cas, le sang demeure liquide et emporte avec lui tous ses composants importants”.

Les règles, moment critique

Ce sang trop liquide demeure le même que le corps libère au moment des règles. C’est là l’une des premières difficultés que Clara a rencontrées. “Je ne compte plus le nombre de fois où, au collège, je me levais de mon siège avec les vêtements tachés de sang. De ce sang qui, en même temps, emportait le fer de mon organisme ainsi, en plus de me faire remarquer, je souffrais d’anémie” détaille Clara.

Les médecins remettent en cause les symptômes. Les gynécologues sont désarmés ou parfaitement incompétents. “On m’a proposé de cumuler pilule, stérilet, tampon et serviette” nous explique la jeune femme. À croire que le confort n’est qu’accessoire, surtout à 14 ans !

Des explications à fournir

Lors de chaque rentrée des classes, le manège recommence pour l’adolescente. “Mes parents allaient rencontrer le directeur et les enseignants, je devais être présentée comme la malade de service. Et je devais expliquer, les saignements de nez, les règles abondantes, les tâches inévitables. Je me sentais punie à la fois par la maladie et par la société qui me demandait de justifier le fait que je sois malade.” Difficile de s’assumer malade : “Je me sentais normale avec juste une particularité, c’est les autres qui me voyaient malade” conclue Clara.

Adolescence difficile donc. Et inconséquence des spécialistes de santé. Clara errera de cabinets médicaux en consultations spécialisées. “Au cours de leur formation, les professionnels de santé apprennent que l’hémophilie est une maladie masculine uniquement, un peu comme le daltonisme. Ils ne comprennent ainsi pas la violence des premières règles ni la véracité de la maladie”. Et les remèdes ne sont pas nombreux : “J’avais le sentiment d’être un cobaye à qui on proposait d’expérimenter une solution innovante, que ce soit chez les gynécologues ou les généralistes”.

Un accident gravissime

Clara ne renonce pas pour autant à son envie de vivre ce qui attise sa hargne. Elle pratique le handball à haut niveau. Jusqu’à une blessure majeure, à l’âge de 18 ans. “Je me cogne et tombe dans les pommes. Là où pour tout le monde ç’aurait été une simple bosse, ce fut, pour moi, un traumatisme crânien.” Le diagnostic médical tombe, une nouvelle fois. “Une interdiction totale des sports de contact” nous explique la sémillante athlète. “Mais je ne me voyais pas rester sur le canapé à avaler des chips” termine-t-elle. Par chance, la famille possède un voilier qui a, durant son enfance, permis à la Granvillaise de voguer les dimanches après-midi le long des côtes normandes. Cela sera par conséquent la voile.

Clara à la barre de son bateau

Clara vise haut. Elle ambitionne à la fois de réaliser la Transat Jacques Vabre, la fameuse Route du Rhum et pourquoi pas un jour, le Vendée Globe. Tout en menant tambour battant un apprentissage qui aurait certainement fait perdre la motivation au premier venu.

Au quotidien.. la maladie

Avec la maladie pour ligne de fond, la vie quotidienne a besoin d’être adaptée. Depuis l’achat de protections à foison jusqu’à la protection des angles de porte dans les bateaux, Clara adapte son cadre de vie à la maladie. Et demeure hésitante. Elle testera toutes les méthodes, la coupe menstruelle – la moins mauvaise méthode selon elle d’ailleurs – les serviettes ultra-absorbantes ou l’accumulation des solutions. Clara va vivre six années de galère, à la recherche d’une solution qui stabilisera sa jeune vie de femme et lui autorisera une vie de maman, une vie de couple. Une vie “normale” en somme !

Clara Fortin Crédits

C’est en 2017 que se dessinera une solution. Clara rencontre une hématologue qui lui propose un modèle particulier de stérilet à implant de cuivre qui bloque totalement les règles. La jeune femme passe de règles qui duraient deux semaines complètes avec parfois à peine un à deux jours de pause entre les cycles à l’arrêt total du cycle menstruel. La femme retrouve un équilibre de vie. Vie de couple, vie sociale.

Association Française des Hémophiles

Clara rencontre les membres de l’AFH. L’association est dotée d’une commission Femmes qui porte justement les questions spécifiquement féminines. Puberté, règles, mais aussi sexualité, vie de couple et grossesse sont des sujets d’étude et de travail de Clara au sein de la structure. Clara nous explique “Le regard sur les règles a évolué aujourd’hui. Ce n’est plus un tabou ni une punition biblique pour la plupart des personnes, c’est un état normal. On peut donc parler plus sereinement sans avoir l’impression de gêner son interlocuteur” explique Clara.

Éviter des années de galère

“Je veux éviter aux jeunes femmes frappées d’hémophilie les années de galère et d’errance que j’ai connues” ajoute la militante. “Je veux expliquer aux jeunes femmes ce qui les attend. Je voudrais vraiment leur éviter ces années de galère en leur fournissant les outils et les spécialistes adaptés à la question.. Les femmes doivent être incluses et comprises dans la maladie. Et pour y parvenir, il faut que la maladie soit connue. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé, en avril dernier, la première journée mondiale de l’hémophilie, au cours de laquelle nous communiquons sur son existence et témoignons, toutes et tous, de ce qu’est l’hémophilie”.

Une vie normale, ou presque

En 2021, la vie de Clara, tend à se normaliser, ou presque. “Aujourd’hui, je vis normalement avec ma maladie” nous explique la skippeuse. “J’ai adapté ma pratique de la voile pour minimiser les blessures. Par exemple, les angles sont protégés, je porte systématiquement des genouillères ou des gants pour éviter les blessures. Au quotidien, le risque est d’oublier qu’on est malade et de prendre des risques. Heureusement ou malheureusement, le moindre bobo, la moindre coupure ou le moindre hématome est là pour rappeler au malade qu’il a cette différence en lui, c’est évident !” conclut la sportive dans un éclat de rire.

Clara & Martin, son compagnon visent une vie de couple, comme les autres, au-delà de la maladie

La vie de femme, Clara l’aborde en connaissance de cause aujourd’hui. Elle veut des enfants et vivre aussi normalement que possible. Pour y parvenir, elle doit s’assurer que les médecins qu’elle côtoie sont au courant de la maladie et en connaissent les impératifs. “Pour un accouchement par exemple, hors de question pour une personne hémophile d’avoir une péridurale.” En effet, l’aiguille est de dimension trop importante et le risque d’œdème interne comme externe trop important avec un facteur de coagulation trop diminué.

Et vient la question cruciale. Transmettre l’hémophilie à son enfant ? “C’est un risque mesuré et identifié. J’ai envie d’avoir un enfant, mais je n’ai pas encore répondu à cette question centrale. Je sais que le risque existe, c’est le point où j’en suis de ma réflexion. Je sais aussi que, dans tous les cas, je devrais prêter attention à la sur-protection de cet enfant. Je ne veux pas lui faire porter un casque dès sa naissance !” Termine-t-elle.

Clara a une philosophie positive sur sa maladie. À propos des conseils qu’elle pourrait donner à une autre hémophile, elle nous explique “On [les femmes, NDLR.] n’a pas de difficulté, juste une particularité. Il y a des adaptations et des modifications à accepter dans le quotidien pour vivre avec, ne pas se battre contre. Il ne faut pas s’arrêter à la maladie, il faut adapter ses objectifs et trouver des solutions pour avancer. Dire que les choses sont compliquées ne fait pas avancer, dire qu’elles sont particulières ouvre l’esprit.”

C’est ce que Clara a fait, avec brio d’ailleurs. Elle a de multiples projets dans son sac à dos. ”Je voudrais réussir mes projets sportifs, à commencer par la Transat Jacques Vabre cet automne et la Route du Rhum, l’an prochain. Ensuite, je mène ma barque professionnelle, je dois trouver ma place dans le monde de la course au large, que ce soit en tant que concurrente ou en tant qu’encadrante de projet. Et trouver mon équilibre de vie, affective, sentimentale. Et familiale, je veux fonder un foyer, avoir des enfants et une vie. Simplement normale.”

Le handicap n’est qu’une particularité, pas une caractéristique

S’il fallait un mot de la fin, Clara sait nous le donner : “Le handicap comme la maladie ne sont que des particularités. Il ne faut pas ranger chaque personne dans une case. La voile est un sport mécanique dans lequel tout le monde peut s’exprimer. Peu importe qu’on soit handicapé ou non. Damien Seguin a fait le Vendée Globe avec une main en moins. Médiatiquement, il est coureur avant d’être handicapé. Il en va de même avec toutes les différences, on est ce qu’on fait avant d’être ce qui nous particularise”.

Clara, nous te souhaitons bon vent !