Dossier 4/4 : Chirurgie de l’obésité, miroir aux alouettes de la perte de poids

Depuis plus d’une dizaine d’années maintenant, des solutions chirurgicales plus ou moins invasives sont proposées aux malades atteints d’obésité. Ces méthodes offrent une solution mécanique à une pathologie complexe qui mêle à la fois des soucis hormonaux, psychologiques, alimentaires et comportementaux. Loin des clichés du summer body, voyage au cœur des malades du surpoids.

Savez-vous comment perdre 20, 30, 40 ou 80 kilos en quelques semaines seulement ?

L’auteur en 2014
Le même auteur, en 2016

La méthode existe, elle est simple. Elle consiste à rendre inopérante une portion importante de votre intestin (environ 1,50 mètre pour un by-pass gastrique). Ou encore de réduire la taille de votre estomac à celle d’un pot de yaourt. Définitives et ultimes, ces méthodes sont efficaces. Sur le court terme, il n’y a pas de choix, le corps se trouve chamboulé, la malabsorption – dans le cas du by-pass – ou la sensation rapide de satiété – dans le cas de la sleeve gastrectomie – feront disparaître les kilos en trop comme neige au soleil.

Reconnaissance du statut de maladie

Le surpoids, l’embonpoint, les kilos en trop … Longtemps, notamment en France, être rond a été synonyme de bien-être et de confort matériel. Notre culture judéo-chrétienne autant que gastronomique nous a amenés à honorer la nourriture. “Termine ton assiette”, “Il vaut mieux faire envie que pitié”, “Un gros c’est gentil”. Toutes ces injonctions au poids ont fixé l’image d’Epinal du gros heureux, bien portant, fortuné et qui a réussi, depuis des centaines sinon des milliers d’années.

Il aura fallu attendre les années quatre-vingt-dix pour que le surpoids soit d’abord vu comme vecteur de maladies. Atteintes cardiaques, articulaires, perte d’autonomie. C’est d’abord par les conséquences que les pouvoirs publics ont abordé la question. Il s’agissait de réduire le poids pour qu’il ne pose plus de problèmes. Donc la santé physique uniquement.

L’évolution du regard médical sur le poids aura fait que d’une conséquence, l’obésité est devenue une cause à traiter. Sont apparus alors des régimes tous plus inutiles les uns que les autres. Dukan, hyper ceci ou hypo cela, protéiques, à faible indice glycémique, les marchands de bonne santé en tube auront tout essayé pour faire maigrir la population. Avec, le plus souvent, un vrai succès, à court terme. Les premiers kilos facilement perdus – aux alentours de la dizaine – il fallait s’attaquer au fond des choses.

Les malades stagnent sur la balance avec seulement ces quelques dizaines de milliers de grammes en moins sur la balance et des centaines d’euros en moins sur le compte en banque, abandonnent la méthode miracle. Le corps se venge et, là où dix kilos ont été perdus, il en reprend vingt, au cas où.

Le mode famine de notre organisme

C’est la découverte de ce mécanisme dit du mode “famine” qui aura été déclencheur des évolutions spectaculaires des chirurgies bariatriques. L’organisme humain sait s’adapter aux petites quantités d’aliment. Lorsque peu de nourriture lui est fournie, il apprend à stocker ce qui lui servira pour survivre. D’où la stabilisation rapide du poids après les premiers kilos perdus (l’âge d’or de la perte de poids dure environ 2 ans) et une reprise rapide et importante des kilos lors du retour à une alimentation conventionnelle.

Ce mode famine est un des résultats des disettes qui ont, autrefois, frappé l’espèce humaine. Les années “sans” (mauvaises récoltes, maladies dans les troupeaux…), les corps de nos ancêtres se satisfaisaient de ce qui leur était donné pour survivre.

La différence majeure avec la période actuelle est que nous sommes entrés dans une ère de disponibilité alimentaire quasi-permanente. Les fast-foods comme certains restaurants traditionnels sont de plus en plus souvent ouverts 24 / 24, nos réfrigérateurs sont pleins de victuailles et l’industrie alimentaire a su nous offrir des aliments toujours plus riches en goût, donc en nutriments pas toujours sans conséquences sur notre santé. La disponibilité de nourriture, le plus souvent de la junk food, est rendue presque instantanée avec des solutions de livraison à domicile de hamburgers, de pizzas et autres aliments riches en calories là où il fallait, avant, faire l’effort – aussi minime soit-il – de se déplacer au restaurant.

Le sucre, désigné ennemi numéro un, a détrôné le sel dans la composition de notre alimentation. Le gras est venu apporter moelleux et longueur en bouche. Les édulcorants donnent bonne conscience et maintiennent l’appétence pour la douceur ingurgitée.

Et le cycle s’entretient, se répète et engendre des prises de poids lentes mais insidieuses.

L’obésité, qu’on qualifie de morbide, de faible ou de simple, est définie par l’Organisation Mondiale de la Santé comme un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 30. Cet indice correspond au poids divisé par le carré de la taille, exprimé en kg/m. Inconvénient de l’IMC, sa valeur n’est significative que pour la personne concernée par la mesure. En effet, elle ne fait pas de distinction entre le poids du muscle, celui des os et celui de la masse grasse que comporte l’organisme du sujet.

L’OMS estime que, depuis 1975, le nombre de malades de l’obésité a été multiplié par trois. En trente ans, 650 millions de personnes – dix fois la population française approximativement – sont touchées par cet état. Parmi eux, 38 millions d’enfants de moins de 5 ans sont  en surpoids ou obèses.

Les conséquences de l’obésité sont connues. Maladies coronariennes, cardiaques, articulaires, dépression, cancers ne sont que quelques-uns des résultats les plus visibles des maladies qui touchent les gros.

La reconnaissance de l’obésité en tant que maladie remonte au début des années 2000. Jusqu’alors, elle n’était vue que comme une conséquence de la suralimentation et du manque d’activité physique. Jamais, avant cette période, personne ne se posait la question des causes de la maladie en elle-même.

Traiter la conséquence en ignorant la cause 

Mauvaise éducation alimentaire, traumatismes du jeune âge, hérédité, pauvreté sont autant d’axes de travail que la santé a pris en main. Et ces dix dernières années, les solutions à base de chirurgie sont devenues les seules méthodes de prise en charge des malades. Omettant au passage, le plus souvent, les autres aspects. Il fallait répondre à la prise de poids avec une méthode qui apporte des résultats rapides.

En omettant les autres causes de la maladie, les acteurs de la santé préparaient les patients à une désillusion violente. Ne traiter ni l’aspect psychologique ni l’aspect social revient à dire aux malades qu’on leur propose une solution qui va les amener rapidement dans un nouveau corps. Avec de nouvelles habitudes, de nouveaux vêtements (que certains ne pourront pas se payer), de nouveaux médicaments à prendre à vie (dont la majorité n’est pas prise en charge par le système de santé), de nouveaux réflexes à acquérir… Tout cela après 24 ou 48 heures passées à l’hôpital. 

Le sport et l’activité physique sont une solution “miracle” pour l’entourage médical comme proche

Et en quelques mois seulement.

La perte de poids est un traumatisme

La diminution rapide du poids affiché sur la balance est une récompense énorme pour le gros. “Enfin” pense-t-il. Enfin, effectivement, il rejoint la normalité. Il retourne dans la moyenne, parfois un peu trop bas d’ailleurs. Il peut, donc, se permettre de cesser tous les régimes qu’il a testés, les pilules miracles et autres astuces vestimentaires. Le gros ne l’est plus. L’humain qui se cachait dans ce corps trop lourd, trop encombrant, trop gras n’existe plus. Il faut, à 30, 40, 50 ou 70 ans découvrir un nouveau soi-même. Un nouveau style. Une nouvelle dimension corporelle. Le gros doit, en quelques mois, réaliser le travail de toute une vie.

Pendant que l’aspect change, la personnalité évolue. Le caractère du gros change aussi. Il n’a plus besoin d’être un “passe-partout”, il a aujourd’hui droit au chapitre et il doit apprendre à équilibrer ses interventions.

S’il est en couple, dans plus de la moitié des cas il divorcera car la cellule qui existait était fondée sur un état qui a disparu. Et l’autre, qui n’a pas perdu le poids, n’a pas suivi le rythme rapide des bouleversements que connaît le malade.

Le traumatisme de la perte de poids est une violence inouïe trop souvent oubliée dans les brochures qui proposent ces traitements chirurgicaux.

Redécouvrir son image

L’ex-gros aura tendance à devenir autocentré. Il se prend souvent en photo, demande l’avis des autres sur son apparence. Il s’essaye à de nouveaux styles vestimentaires, de nouveaux sports, de nouvelles pratiques de vie, qu’elles soient de couple ou extraconjugales.

Le rapport à la nouvelle image passe par une sur-exposition à soi-même, à la recherche d’une nouvelle identité

La découverte de l’image est un plaisir jusqu’au jour où l’ancien obèse découvre que ce corps, si longtemps haï, a été déformé par la chirurgie réalisée. La peau du ventre qui tombe, les cuisses qui n’ont plus de fermeté. Les paupières décharnées. Et le froid, la découverte du froid, dont la couche de graisse précédemment présente isolait.

Le poids perdu engendre une déformation de la peau

Ce sont les premiers désagréments qui apparaissent après quelques mois. La pression sociale existe toujours, car le monde n’a pas changé sauf dans le corps du gros. Le “Reprends en un petit peu, tu peux te le permettre”  a remplacé le “Je comprends, tu fais attention à ton poids”. Ni l’une, ni l’autre de ces invectives ne sont gentilles ni compatissantes. Elles sont, l’une comme l’autre, les stigmates d’un système basé sur la consommation à outrance. Et l’ancien ennemi de la balance accepte ces injonctions à faire “comme tout le monde”. Manger comme tout le monde, reprendre une part de gâteau. Ajouter un peu de mayonnaise dans les frites. Boire un petit peu plus sucré qu’avant.

L’apprentissage d’une nouvelle alimentation est nécessaire

Le cerveau gagne toujours la bataille

Insidieusement, le cerveau a compris qu’il ne recevait plus autant de calories qu’il en avait reçues des années durant. Il active alors le mode famine auquel il ajoute une intelligence impressionnante d’analyse.

Chacun sait qu’il y a plus de calories, à volume égal, dans de la salade verte que dans des frites. Que pensez-vous que le cerveau favorise et demandera à la main d’appréhender ?

Il est particulièrement difficile d’expliquer, pour un gros, cette réaction. Car il ne la contrôle pas. Il ne s’agit pas d’une question de volonté – en déplaise aux nutritionnistes – ou de manque de sérieux. C’est le parcours de vie, les raisons qui ont amené l’enfant, l’adolescent qu’était l’adulte gros qui sont à traiter, pas son poids instantané.

La bataille entre le gros et son cerveau est longue et périlleuse. S’il n’est pas accompagné, s’il n’a pas les alliés nécessaires, psychiatres notamment, il est certain de perdre la partie.

Les traumatismes de l’enfance, le vécu, les messages véhiculés par la famille, par les médias, par l’école comme par les amis conditionnent, c’est aujourd’hui une certitude, l’adulte en devenir. La génération en cours est le fruit des enfants de la seconde guerre mondiale. Ces enfants ont connu le manque de nourriture et ont transporté avec eux – cela se comprend sans aucune difficulté – les valeurs que le conflit leur a imposées. C’est donc tout naturellement que nos parents nous ont enseigné cette vénération de la nourriture. Ajoutez des facteurs génétiques évidents (certains stockent plus que d’autres, c’est ainsi), une propension psychologique à créer ce que certains appelleront un coussin, une ceinture ou une muraille entre le gros et les autres. Vous aurez confectionné le gâteau de l’obésité.

Un Combat quotidien

Peu importent les injonctions des médecins, des nutritionnistes ou des chirurgiens après les opérations. Une fois que la machine à reprendre du poids a été enclenchée, rien ne peut en arrêter la marche, sinon comprendre ce dont le malade de l’obésité se protège.

Et accepter que ce combat, au cours de chaque repas, ne soit peut-être finalement qu’une maladie physique.

En 2022, la reprise de poids est évidente

Dossier 3/4 : Regard sur le corps gros, la vision de l’anthropologue

Le corps gros

Ghislaine Gallenga est une chercheuse, professeure des Universités à Aix Marseille Université, Ethnologue, Anthropologue et travaille au sein d’une UMR (Unité Mixte de Recherche du CNRS) à l’IDEMEC (Institut d’ethnologie méditerranéenne européenne et comparative).

Sa spécialisation en tant qu’anthropologue est celle du changement. En s’immergeant dans le poste de travail des sujets de son étude, Ghislaine Gallenga se met “à la place de ceux dont elle parle”. Ainsi, pour ce qui a trait à l’obésité, est-elle en train de préparer un BTS de Diététique, pour avoir le regard d’un nutritionniste sur la question.

Aussi étonnant que cela puisse sembler, aborder le regard sur le gros – l’obésité est l’appellation médicale du surpoids – sous l’angle du changement nécessite de prendre en compte le fait que la prise, comme la perte, de poids est un changement majeur du corps, pour celui qui le porte (“le gros”) comme pour celles et ceux (“la société”) qui l’entourent.

Cette approche, qu’on pourrait résumer par “être gros est un changement”, Ghislaine Gallenga la travaille en regardant, c’est son métier d’anthropologue qui le veut, le passé et le présent. Elle ne saurait prédire l’avenir, même si certaines réalités sont bel et bien visibles, notamment en ce qui concerne la paupérisation des classes les plus pauvres face à la nourriture.

Economiste de formation, Ghislaine Gallenga apporte sur l’analyse anthropologique dans la cité le regard de l’économiste, mettant en rapport l’entreprise, le sujet et l’environnement dans le commun, pour amener des propositions de politiques publiques qui visent à minimiser les impacts de l’obésité sur la santé.

Enfin, comme elle l’explique elle-même, Madame Gallenga travaille plus sur “le corps gros que sur l’obésité, qui est une définition médicale”.

Qu’est-ce que l’obésité ?

L’obésité est, selon Ghislaine Gallenga, une construction sociale et historique qui s’est installée au fur et à mesure du temps. Il aura fallu attendre 1997 pour que l’Organisation Mondiale de la Santé considère l’obésité comme une maladie et ce n’est qu’en 2000 que c’est devenu une épidémie.

Le catalyseur long a été le renversement récent des perceptions autour de l’obésité.

Au moyen-âge, le manque de nourriture encensait les corps gras et gros, signes de bienséance

Ghislaine Gallenga explique les épisodes de l’histoire du corps gros en se basant sur l’historien Georges Vigarello : “Au Moyen Âge, le corps gros est valorisé car il est synonyme de richesse et d’abondance. En effet, à cette époque, seules les personnes aisées avaient accès à de la nourriture convenable. Etre gros, alors, constituait le marqueur social d’une certaine réussite, d’un statut. A la renaissance, la société prend conscience que les gros ne peuvent faire certaines choses, essoufflement, manque de mobilité, morbidité plus importante commencent à entrer dans les esprits comme étant des conséquences de ces corps gros. Et, au XIXe siècle, les compagnies d’assurances mettent en place le principe de l’Indice de Masse Corporelle pour établir des statistiques de mortalité des personnes à couvrir.

Pour autant, c’est en 1701 que l’obésité est définie dans le champ médical.

Maladie de civilisation

On pourrait parler de maladie de civilisation” poursuit la chercheuse “due en effet à une alimentation trop grasse et sucrée. Mais c’est un raccourci insuffisant car l’obésité est plurifactorielle, elle renvoie systématiquement sur la mollesse, le laisser-aller, le non-contrôle. Sa présence rappelle la nécessité, l’injonction presque à la maîtrise du corps et de l’ensemble. Il faut être l’entrepreneur du soi, gouverner et diriger son corps. La société demande dynamisme et vitesse, elle est bâtie contre la sédentarité.

Aujourd’hui, les employeurs sont sensibilisés à la grossophobie car beaucoup de travail a été mis en place pour contrer les discriminations. “Néanmoins” poursuit-elle “Certaines entreprises ont installé des salles de sport, on y transpose le dynamisme sportif sur le dynamisme professionnel. D’une manière générale, on pense que le gros est responsable de cet état.

En elle-même, l’obésité n’a pas de coût. Ce sont les comorbidités (articulations, diabète, maladies cardiovasculaires …) qui représentent un coût pour la société. Par la faute de l’anormalité du gros, il coûte de l’argent à la société, il demeure montré du doigt en tant que victime et auteur de son état.

Pourquoi devient-on obèse ?

On ne devient pas obèse” ajoute l’anthropologue “il faut un diagnostic d’obésité pour que la personne concernée accepte son état.” Avec une vision qu’il faut élargir au-delà de notre prisme d’Ouest-européens. Dans certaines régions (notamment au Maghreb), l’embonpoint est encore bien vu. Ou encore, en Mauritanie, le gavage des femmes, pour qu’elles prennent du poids, est encore pratiqué.

Le niveau social n’est pas un indicateur fiable de l’approche de l’obésité, c’est le niveau de vie qui tend à montrer que l’obésité est dominante dans les classes basses de la société.

Politiques publiques et lobbys

Les individus sont aujourd’hui soumis à des doubles contraintes et des injonctions paradoxales, il faut à la fois consommer et être mince, donc dans la décroissance. Les politiques publiques (la “taxe soda” par exemple) se heurtent à l’opposition dure des lobbys dans une société néolibérale qui travaille, dès l’enfance, à formater et créer le goût et des appétences pour le sucré ou le gras.

Le regard sur l’obésité masculine est plus violent que le regard sur l’obésité féminine, même si elle est mieux tolérée, car on questionne la masculinité à travers la nourriture. Bien manger, c’est pour les hommes forts et costauds. 

Le porno connaît aussi sa tendance “feeders” qui veut que la femme ne soit qu’un corps récipiendaire d’une quantité énorme de nourriture.

Enfin, les “fat acceptance“ laissent penser que la prise de poids est une prise de pouvoir sur son propre corps et donc d’un succès.

L’obésité est peuplée d’idées contre-intuitives

Les Troubles du Comportement Alimentaires, le plus souvent à l’origine de l’obésité, sont aujourd’hui identifiés dans leur mécanisme, addiction, circuit de récompenses.

Dire qu’il faut “bouger, faire des régimes … C’est grossophobe et discriminatoire” pour la spécialiste.

“Bouge toi et tu perdras du poids”, ou comment culpabiliser un enfant dés sa prime enfance dans la gestion de sa nutrition. (Wikipedia/Wsiegmund)

Les chirurgies de l’obésité sont un “mieux que rien” mais, seules, elles ne suffisent pas. “Il est impératif qu’un suivi global soit mis en place avant, pendant et après la perte de poids. Sans quoi, passé la période de lune de miel d’environ deux années au cours de laquelle la perte de poids est presque automatique, les addictions vont revenir. Le plus souvent à la nourriture, car c’est la plus facile à obtenir, mais souvent aussi à d’autres activités qui vont de nouveau donner au cerveau sa dose de plaisir. C’est alors que le jeu, l’alcoolisme, l’orthorexie ou les drogues ont leur chance de s’imposer” ajoute Ghislaine Gallenga.

Un nombre important de bouleversements se produisent dans la vie des opérés, on connaît une augmentation des cas de divorces, tentatives de suicide, dépressions nerveuses. Les personnes qui subissent des opérations de l’obésité restent des “obèses minces” toute leur vie, explique-t-elle.

La nostalgie de l’âge d’or

Longtemps encore après l’opération et la perte de poids, l’ex-obèse conservera certains réflexes comme le réglage du siège de voiture, la taille des vêtements … Et une fois qu’il aura terminé la période de lune de miel va s’installer la nostalgie de l’âge d’or. Le besoin de retrouver l’équilibre qui préexistait avant l’opération, quand l’obésité était présente.

Dossier 1/4 : L’été arrive, il faut penser au body summer ! 

Si vous faisiez ne serait-ce qu’un effort pour perdre ce ventre !

Le voilà, le fameux marronnier du printemps. Mesdames, Mesdemoiselles et souvent Messieurs, vous êtes gros, bien trop gros.

Grosses et grosses, faites un effort. Mangez de la salade de chou arrosée de jus détox et, croix de bois, croix de fer, vous entrerez dans du 34.

Voilà l’été

L’injonction saisonnière à préparer l’été pour exhiber un beau corps sur la plage, doré à souhait, en pleine forme et en pleine santé entre en jeu.

Vous êtes, nous sommes, responsables en intégralité de notre corps. Si nous prenons du poids, c’est par notre faute. Si nous en perdons, c’est grâce aux régimes que magazines, publicités et autres nous recommandent.

De l’hyperconsommation alimentaire à l’hyperconsommation pour se désalimenter ne sortira jamais qu’une seule chose, une prise perpétuelle de poids, incontrôlée et de plus en plus incontrôlable.

J’aperçois le soleil

Devinez au bénéfice de qui ? 

Ce dossier sur l’obésité vous montrera, par les exemples et les interventions de spécialistes ce qu’est cette maladie (car c’en est une) et quels sont les effets pervers de ces régimes aléatoires dans une société où l’efficacité, l’agilité, le self-control et l’arrogance ont pris le pas.

Et les dieux sont ravis

Prêts pour votre body somme mort ?

Bon été, avec Brillante Magazine, le premier qui ne vous conseillera jamais de maigrir !

Dossier 2/4 : Les traitements chirurgicaux de l’obésité

Comme chaque année, la chasse au Summer body est ouverte … méfiance (Flickr/We Are Social)

Les solutions pour accompagner le traitement de l’obésité par voie chirurgicale sont de deux grandes familles. Les sleeves gastrectomies proposent de réduire volume et forme de l’estomac. Les Bypass gastriques, eux, opèrent en empêchant l’absorption par le corps de certains nutriments qui ont amené à la prise de poids.

Comme le rappellent les médecines anciennes, le corps est une machine formidable basée sur de nombreux équilibres. Ces équilibres sont nutritionnels, psychologiques, sociaux et endocriniens.

Cécile Betry est médecin spécialisée et chercheuse en nutrition. Elle alerte sur les dangers des régimes amaigrissants, qui sont à risque de perte de muscle et de développement de troubles du comportement alimentaire. Ses travaux de recherche portent actuellement sur la mesure de la masse musculaire grâce à des méthodes innovantes (intelligence artificielle et données massives en santé) afin d’optimiser le diagnostic de la dénutrition et de la sarcopénie. Elle a également publié des articles sur la chirurgie bariatrique et ses complications.

Elle mène des recherches dans les domaines annexes à l’obésité, la diabétologie, la nutrition et l’endocrinologie, en plus de sa pratique hospitalière et de son titre de Maître de conférences des universités.

Rares complications alimentaires

Dans son travail sur la dénutrition, Cécile Betry explique “il y a peu de complications à proprement parler alimentaires. La plupart des patients comprennent bien la nécessité de modifier son alimentation car la mécanique interne a évolué. Le geste opératoire en lui-même est maîtrisé aujourd’hui, et les cas de sténoses ou de fistules sont rares.”

Cependant, comme l’explique l’enseignante, “les complications de la chirurgie bariatrique sont parfois découvertes sous un angle neurologique ou psychiatrique. Souvent éloignées de l’acte chirurgical en lui-même de durées qui peuvent se compter en années.” Ce qui rend leur détection et le lien de causalité bien plus compliqué à établir pour des médecins généralistes qui n’ont pas été formés, dans leurs cursus, aux problématiques de chirurgie bariatrique. Le taux de patience en “errance médicale”, est supérieur chez les personnes opérées que chez les personnes qui ne le sont pas.

Là où les choses se compliquent, c’est que “le suivi postopératoire n’était pas valorisé par la sécurité sociale jusqu’à maintenant, ce qui est en train de changer. Alors que le suivi préopératoire était imposé par la sécurité sociale. Le patient candidat à une chirurgie de l’obésité doit rencontrer de nombreux spécialistes avant que ne soit octroyé le feu vert de l’opération.” ajoute Cécile Betry.

Accès compliqué et démotivant ?

L’accès à la chirurgie bariatrique est assez compliqué d’accès” commence la spécialiste. “En moyenne 3 à 6 mois avant la première consultation avec un médecin pour ce sujet en particulier, avec un parcours total qui s’étale sur environ 18 mois. Ce temps préopératoire est extrêmement profitable au patient pour commencer les rééquilibrages alimentaires avant le coup de bistouri.” continue-t-elle.

Comme partout sur le territoire, des inégalités existent. Il est aujourd’hui bien plus rapide et simple de se faire opérer à Lyon qu’à Paris, selon les associations de patients.

Chirurgie bariatrique et accompagnement psychologique

L’obésité est une maladie complexe, personne ne sait expliquer pourquoi certaines personnes deviennent obèses et d’autres pas, à alimentation similaire. 

On évoque souvent des traumas dans les histoires de vie” selon la spécialiste qui voit là “une réponse simple à une question complexe.” 

C’est l’un des objectifs du parcours préopératoire que de comprendre pour quelle raison la personne a pris du poids. Déterminer les comportements obésogènes comme les mal-être.

Un avant et surtout un après

La détection des addictions est l’un des aspects les plus complexes” selon la spécialiste. La nourriture peut être utilisée à visée réconfortante. “Et si on ne peut plus utiliser la nourriture dans ce cadre-là, report d’addiction avec augmentation du risque alcoolique, y compris à large distance de la chirurgie.” conclut-elle.

La psychiatrie de ville apporte un soutien et une écoute aux patients, que les soignants hospitaliers n’ont plus le temps d’offrir. “Souvent, la problématique de l’alimentation est peu abordée par les psychiatres. Les TCA (Troubles du Comportement Alimentaire) font peur à la fois au corpus psychiatrique et au corpus généralistes car ils présentent des implications borderline entre les deux domaines. On retrouve donc des patients qui n’obtiennent de réponse ni d’un côté, ni de l’autre, après leurs chirurgies.

Le patient idéal de la chirurgie bariatrique ? 

Selon la chercheuse, le corps n’est pas fait pour perdre du poids. Certaines personnes ont pris du poids à un moment de leur vie pour différentes raisons identifiables (repas d’affaires, traditions familiales …) et ont un poids stabilisé, sans trauma persistant ni identifié. Ces personnes sont les candidats parfaits à une chirurgie qui sera l’outil qu’il manquait à leur gestion du surpoids. “Mais ils ne sont pas la majorité des opérés” , ajoute-t-elle.

Quid de la déformation des corps ? 

Dans de nombreux cas d’opérations, les patients conservent une insatisfaction de leur corps. On assiste à de nombreuses difficultés de perception de l’image corporelle par rapport aux attendus parfois non exprimés ou, pire, fantasmés. La réappropriation du corps est une chose, le manque ou l’absence d’imagination du corps à venir en est une autre. Et la médecine ne sait pas accompagner vers cette transformation, par nature incontrôlable a priori.

Mettons-nous au summer body !

Par chance” commence le médecin, “le rééquilibrage alimentaire prend aujourd’hui un peu le pas sur les régimes miracles. On peut cependant perdre du poids très rapidement, c’est possible, c’est ce à quoi on assiste d’ailleurs lorsque des patients sont en réanimation ou hospitalisés pour une longue durée. Ce poids est toujours repris lorsqu’il est perdu sous la contrainte, car le cerveau a une mémoire du corps précédent et va envoyer des messages pour retrouver le corps précédent, celui de la fin d’automne !

L’image et l’injonction à la minceur existent toujours, seule les méthodes évoluent (Flickr/orangemania)

Surtout “en perdant du poids rapidement, on perd muscle et graisse. Ce qui conditionne la survie de l’espèce, c’est la quantité de muscles. Le cerveau va envoyer des messages pour reprendre du muscle. Et on va reprendre du gras avant de reprendre du muscle.” conclut l’enseignante.

Valeur et signification de l’IMC

Cet indice a été défini par les compagnies d’assurances pour estimer le risque des personnes couvertes. C’est une approximation en médecine. On a besoin d’être capable d’estimer la quantité de muscles d’un patient. L’obésité se définit donc sur une approximation. Attention, ce n’est pas un mauvais indice, il n’indique pas le risque d’obésité pour une personne donnée” explique l’endocrinologie qui ajoute “l’obésité peut être métaboliquement saine. Certaines personnes sont en “bonne santé” en ayant un IMC important.

Le vrai calcul doit se baser sur l’évaluation de la quantité de muscles, la quantité et la localisation de la masse grasse. Graisse viscérale dangereuse, tout comme la graisse aux cuisses et hanches.” explique la spécialiste. Mais, encore une fois, ceci n’est que généralité, chaque personne est différente, et quelque bourrelet ne signifie pas une obésité ni un IMC anormal.

La culture culinaire en question

On a pour coutume de dire qu’en France “on mange bien, bon et gras”. C’est, selon ce qu’explique la spécialiste relativement faux.

La tradition culinaire française n’est pas mauvaise en elle-même (Flickr/Paull Young)

Le mode de vie à la française c’est le côté gourmet et ce n’est pas en faveur de l’obésité. C’est prendre du plaisir à manger. On est à l’écoute de faim, de satiété. Quand on n’a plus faim, on n’a plus faim, c’est ce que permet la structure de nos repas. Entrée légère, plat, fromage et ou dessert viennent apporter la quantité censément nécessaire d’aliments et de nutriments à notre corps pour être en bonne santé.

Le danger apparaît lorsque se met en place ce qu’on appelle la faim hédonique. On ne mange alors plus par faim mais par envie. Ce n’est plus l’estomac qui crie famine, mais le cerveau” ajoute la chercheuse qui insiste sur le fait qu’il existe une “controverse quant au fait que les produits gras transformés pourraient engendrer de l’obésité, amenant à une situation dans laquelle la nourriture ne comble pas, ne comble plus, la faim.

Et après l’opération ?

Les lendemains ne sont pas tous sombres pour les personnes qui ont connu une chirurgie bariatrique. “Si un certain nombre d’études montrent des patients perdus de vue, on sait aujourd’hui qu’il y a moins de mortalité chez les opérés que chez les non opérés.” complète la spécialiste.

Une difficulté existe néanmoins, les messages de refus de chirurgie sont de plus en plus difficiles à entendre par les patients qui voudraient du “fast-régime” sur commande.

Quel avenir pour nos enfants dans ce monde de gros ? 

Le Body Summer n’est ni une bonne idée, ni un objectif. Les différents spécialistes rencontrés, les échanges et les témoignages rappellent tous que l’équilibrage alimentaire est, à l’instar des mathématiques ou de l’histoire de France, une notion à appréhender dès l’enfance pour créer des adultes qui consommeront de l’alimentation en conscience et en connaissance de leurs besoins.

S’alimenter mieux s’apprend et, y compris dans des périodes de forte augmentation des prix comme nous la connaissons actuellement. Un kilo de haricots verts, en conserve comme frais, ne coûte pas plus cher qu’un repas au fast-food du coin. S’il ne s’agit surtout pas de priver de l’un au  bénéfice de l’autre, il s’agit de répartir en conscience les occurrences de l’ensemble des apports alimentaires qui composent notre assiette.

Abandonnez, abandonnons cette idée du Body Summer et du corps parfait. Car il n’existe pas, car les corps sont tous différents et aucun n’est difforme. Car se maltraiter pendant 3 semaines est la garantie de mettre en place une machine mortifère et génératrice de prise de poids et qui, en bout de chaîne, ne servira qu’à enrichir les marchands de régimes.

Manger bien et manger sain, c’est aussi respecter le rythme biologique des saisons. Si les tomates, les courgettes et autres cucurbitacées poussent en été, c’est pour nous apporter l’eau dont nous pouvons avoir besoin à cette saison.

Les arbres à hamburgers poussent toute l’année, il est peut-être temps de se poser les bonnes questions …