Charlotte, sage-femme libérale entend dénoncer les conditions de travail d’une profession au bord du gouffre et souhaite agir avant le drame.
Alors que l’ONSFF, l’une des deux principales organisations syndicales de la profession à appelé à une « semaine noire » pendant les fêtes, la plupart des maternités de France sont en grève illimitée depuis le 24 décembre.
Leurs revendications portent avant tout sur le manque de moyens et la revalorisation d’une profession mal (re)connue encore aujourd’hui, comme nous l’explique Charlotte : “Beaucoup de sages-femmes sont en arrêt de travail pour burn out ou dépression et non remplacées (les candidatures ne se bousculent plus à ces postes éreintants et mal reconnus). Beaucoup sont sur le point de faire une reconversion professionnelle, car ce métier qu’ils et elles chérissent les tue à petit feu. Beaucoup d’étudiants et étudiantes sages-femmes réfléchissent déjà à changer de métier avant même d’avoir exercé.“
Charlotte est sage-femme libérale dans un désert médical en Sarthe depuis 4 ans. Elle a auparavant exercé en tant que sage-femme territoriale au sein d’une PMI (Protection maternelle et Infantile) auprès des femmes les plus précaires et vulnérables puis comme sage-femme hospitalière dans une maternité durant 3 ans.
Au plus près du terrain, Charlotte voit passer des témoignages alarmant chaque jour à l’image de “celui d’une sage-femme, qui a dû quitter une jeune accouchée faisant une hémorragie pour courir au bloc opératoire extraire en urgence par césarienne le bébé d’une autre patiente. D’autres qui avouent ne plus être assez nombreuses pour pouvoir surveiller tous les rythmes cardiaques des bébés in utero en salle d’accouchement durant parfois 30 minutes consécutives. Si ces cœurs faiblissent, rien n’est vu, et donc rien ne peut être fait. C’est gravissime. Début novembre, une patiente enceinte de jumeaux, en menace d’accouchement prématuré, ne pouvait être accueillie en urgence près de chez elle, faute de
professionnels dans les maternités plus proches, de lits disponibles, et de respirateurs pour bébé… Elle a tenu bon sur 200 km, de Laval jusqu’à Vannes.“

Le Conseil national de l’Ordre des sages-femmes a tiré la sonnette d’alarme dès cet été. En effet de nombreuses maternités rencontrent d’immenses difficultés à recruter des sages-femmes avec des conséquences dramatiques : les effectifs réduits ne permettent plus de garantir la sécurité des patientes. Aujourd’hui, les sages-femmes sont nombreuses à quitter l’exercice en maternité, épuisées par des conditions de travail de plus en plus critiques. A l’approche de l’été, période sensible en raison des congés estivaux, les sages-femmes nouvellement diplômées permettent en général d’assurer la continuité des activités dans les établissements mais cette année, pour la première fois, ces dernières n’ont pas assez nombreuses pour prendre la relève dans les maternités, préférant s’orienter vers l’exercice libéral. Les contrats précaires, la faible rémunération et le sous-effectif permanent – source majeure d’insécurité à la fois pour les soignants et les patients – en sont les principales causes.
Et Charlotte de nous détailler la situation actuelle sur le terrain : “concrètement, aujourd’hui, être sage-femme en hôpital ou clinique c’est : être seule pour assurer la sécurité de 3 à 4 patientes qui sont en travail, et qui parfois peuvent avoir besoin de nous en même temps. Surveiller seule la sécurité de 20 à 30 patients (10 à 15 jeunes mamans et 10 à 15 nouveaux-nés), avec de plus en plus de pathologies complexes associées. Travailler 12 heures de suite, (en alternant les gardes de 12h de jour comme de nuit), en courant d’une urgence à l’autre, sans pause (ni repas, ni pipi), en sachant pertinemment que vous serez rappelée pour revenir travailler sur vos quelques jours de repos. En effet, la structure qui vous emploie est au bord de la fermeture pour manque d’effectif, et si vous ne revenez pas travailler sur vos jours de repos, on vous accusera d’être en partie responsable de la fermeture d’un service hospitalier, voire de la maternité entière. Ne plus réussir à dormir par manque de jours de repos.
Pleurer sans pouvoir s’arrêter en découvrant son planning de travail (qui paraît chaque mois seulement 15 jours avant), en y découvrant beaucoup d’heures supplémentaires.“
Elle en profite pour rappeler qu’en 40 ans, du fait de décisions politiques désastreuses, deux tiers des maternités de France ont déjà fermé et qu’un grand nombre des maternités françaises restantes sont sur le point de fermer, par manque de professionnelles.
A l’image de nombreuses sage-femmes en France, Charlotte appelle le gouvernement à prendre des mesures urgentes afin d’éviter le drame : ” Il s’agit de revoir de toute urgence les décrets de périnatalité obsolètes (datant de 1998) , qui régissent le nombre de sages-femmes par établissement. C’est la révision de ces décrets qui permettra de régler le problème des sous-effectifs dans les
services, pour de bonnes conditions de travail et de sécurité. Aucune proposition politique ne va dans ce sens pour le moment, malgré beaucoup de d’agitation autour du rapport sur les 1000 premiers jours ! La détresse de la profession ne sera pas apaisée tant que ce sujet ne sera pas étudié sérieusement…“
La revalorisation de 500 euros nets mensuels par sage-femme hospitalière annoncé par le ministère de la santé ce 22 novembre 2021, suite à la signature d’un protocole d’accord avec les syndicats hospitaliers (concernant la revalorisation de la profession de sage-femme), n’a pas calmé les esprits, bien au contraire ! “Près de 500 euros par mois, majoritairement sous forme de primes supprimables à tout moment, et non prises en compte pour le calcul de la retraite est bien inférieure à ce que notre responsabilité mérite” s’énerve Charlotte, “de plus, elle ne concerne pas totalement les nombreuses sages-femmes contractuelles, ni celles des établissements privés, ni les sages-femmes territoriales !
Un amendement proposant de revaloriser la rémunération des sages-femmes selon les recommandations de l’IGAS (jusqu’à près de 700 euros par mois) a même été rejeté fin octobre par les députés.“
Une avancée pour la profession qui entend toutefois bien continuer les négociations. Pour Charlotte, celles-ci doivent prendre davantage d’envergure, il ne faudrait pas que le gouvernement se croit débarrassé du problème : “Il s’agit de rémunérer les sages-femmes correctement. Nous partageons une partie de nos études et le statut de prescripteur avec les médecins et les dentistes. Malgré une formation équivalente en heures à celle des dentistes, notre profession, nettement plus féminisée, perçoit une rémunération bien inférieure. Ça ne paye donc pas d’être une profession féminine qui s’occupe de la santé des femmes.
Il faut d’urgence arrêter la précarisation de la profession, avec son recours massif au contrats précaires (CDD, se transformant parfois après nombreuses années en CDI plutôt qu’en statut de fonctionnaire, pour éviter d’avoir à verser des primes !)
Il faut mettre en place un nouveau statut médical pour la profession, en accord avec la grande responsabilité professionnelle qui pèse sur les sages-femmes, et la quantité de savoirs acquis au cours de la formation. Cela permettrait d’accroître l’attractivité, de favoriser l’accès à la formation professionnelle, d’accéder à un exercice hybride (ville/ hôpital), ou encore de participer à des activités de recherche pour celles qui le souhaitent.
Il faut supprimer la limitation des prescriptions, que ne subissent ni médecins, ni dentistes.
Si une 6eme année d’étude doit être ajoutée (en raison de l’abondance des connaissances à intégrer pour devenir sage-femme), il faut alors nous reconnaître le même niveau universitaire que les dentistes, qui eux aussi ont 6 ans d’études supérieures, couronnées par une thèse, leur conférent le statut de Docteur.
Il ne faut plus dire que les sages-femmes travaillent sous l’autorité médicale des gynécologues. Nos compétences ne sont pas les mêmes. Les gynécologues n’ont pas particulièrement de compétences en matière de pédiatrie, d’allaitement, et très peu en matière d’accouchement physiologique. Ce sont en revanche des spécialistes de la pathologie et des chirurgiens chevronnés. Nous sommes simplement leurs collègues, autonomes dans nos responsabilités.“
La lutte continue.