Féminisme et droit d’expression des femmes sont intimement liés. Il ne peut exister le second sans le premier. C’est à cet état des lieux que nous invite la journaliste Caroline Stefan avec le livre “Citoyennes ! Il était une fois le droit de vote” paru aux éditions Helvetiq.
En 2022, les femmes disposent, au même titre que leurs alter ego, du droit de vote. Mais ce droit n’a pas toujours été un acquis, à l’instar de l’ensemble des possibilités offertes aujourd’hui sans distinction de sexe. Féminisme, politique et droit à l’expression se mêlent dans cet ouvrage passionnant. Les illustrations qu’il contient à la manière de “Tomtom et Nana” (Message aux plus jeunes : “pas le GPS, la bande dessinée“) rendent “Citoyennes ! Il était une fois le droit de vote” accessible aux citoyen.ne.s autant qu’à celles et ceux qui le deviendront demain.

Le Livre de Caroline Stevan, “Citoyennes ! Il était une fois le droit de vote” aux éditions Helvetiq se lit à la fois comme un ouvrage d’histoire, de politique, de fiction et de projection. L’ensemble des grandes figures féminines de la politique et de l’accès des femmes à la gestion de l’Etat est rappelé de manière ludique mais précise. Ceci sans parti pris ni militantisme, tel que l’histoire le dit, tels que les faits se sont déroulés.
Qui êtes-vous Caroline Stevan ?
Je suis une journaliste Franco Suisse. J’ai passé l’essentiel de ma carrière à travailler pour le journal “le temps” puis j’ai rejoint la RTS (Radio publique Suisse) il y a 2 ans.

Depuis le premier confinement, je travaille pour le point J, dans lequel on pose une question chaque jour en relation avec l’actualité. Par exemple “pourquoi autant de prêtres pédocriminels ? – Peut-on tout guérir avec l’hypnose ? “. Chaque épisode dure 10-12 minutes en format podcast. Beaucoup d’invité(e)s pour alimenter ce point J. En fin de podcast, une deuxième voix intervient, un témoignage ou un point de vue dissonant.
Le 14 juin 2019 a eu lieu la grève des femmes. J’ai eu la sensation que cette journée ferait date dans les luttes féministes.
Caroline Stevan
Le 14 juin 2019, en suisse, a eu lieu la grève des femmes. Des centaines de milliers de femmes dans les rues Suisse, une marée violette a envahi les avenues. J’y étais en famille avec mes 2 filles et leur papa, j’ai eu la sensation que cette journée ferait date dans les luttes féministes. Je voulais que les enfants puissent prendre conscience du fait qu’il y a eu du chemin pour que les femmes puissent voter, parler et s’exprimer.
Mes deux filles, âgées de 8 et 12 ans, ne sont pas encore en âge de voter. Ce qui n’empêche aucunement d’avoir une conscience !
Sortir du regard très européen sur notre droit de voter
L’idée directrice de ce livre était de sortir du regard européen sur le droit de voter – de s’exprimer – dont disposent les femmes. D’autant que 2021 marquait le cinquantenaire du droit de vote des femmes en Suisse.
Le livre s’ouvre sur le portrait de 10 militantes du droit de vote des femmes, toutes de différentes cultures.
Où en est en 2022 le droit de vote des femmes ?
Partout dans le monde où les hommes votent, les femmes votent. Deux exceptions notables : le Bruneï et le Vatican. Au Vatican les choses évoluent, une femme a été nommée à la conférence des évêques et a le droit au chapitre.
Quant à l’égalité d’accès au vote, les femmes et les hommes ne sont pas empêchés de voter partout ailleurs. Par contre, c’est un aspect important qui ne signifie pas nécessairement une égalité en politique. Il y a bien moins de femmes que d’hommes aux postes de pouvoir. Et celles qui le sont ne sont jamais rattachées à des ministères régaliens. Au-delà de ces chiffres, il faut voir la manière dont les femmes sont considérées (uniquement le prénom de la femme et le nom de l’homme). A l’époque, on a bien plus décrit les vêtements de Ségolène Royal que ceux de Nicolas Sarkozy, par exemple.
Quelles ont été les difficultés majeures à obtenir le droit à voter ?
Les luttes sont convergentes et ne couvraient jamais qu’un seul sujet. Les femmes qui se sont battues pour pouvoir voter réclamaient souvent d’autres choses, lutte contre l’esclavage, pour l’indépendance… Beaucoup des opposants avaient finalement peur que les femmes qui iraient voter délaissent leur statut de femme et les tâches qui leur incombent historiquement (cuisine, foyer, ménage, enfants…). Ce sont des sujets sous-jacents à cette quête du droit de vote.
A l’époque des grands combats, les femmes demandaient à avoir accès à la sphère publique. Elles voulaient avoir une place publique dans la société. Aujourd’hui, même si la place faite aux femmes n’est pas parfaite, il n’y a plus de remise en cause des possibilités notamment politiques données aux femmes. Par contre, et c’est là un frein important à la féminisation de la fonction politique, les femmes ont toujours la politique en plus du reste. La famille (gestion du foyer, des enfants…) est vue comme un frein pour les femmes qui veulent entrer en politique.
La première ministre Néo-Zélandaise a été enceinte pendant son mandat.
Certains – autant d’hommes que de femmes – ont questionné la compatibilité d’une vie de famille avec sa fonction. Elle s’est insurgée qu’on ne pose pas cette question aux hommes.
Quel est le prochain combat des femmes ?
L’obtention d’une pure égalité de traitement entre les Hommes & Femmes
Quel est l’impact de certaines prises de position radicales de féministes sur le message féministe en lui-même ?
Certains comportements ou certaines manières de porter la lutte peuvent crisper. Et partout où il y a crispation, il y a tension et rupture du dialogue. Prenons l’exemple de l’écriture inclusive, qui me semble pourtant quelque chose d’anodin. On doit faire avec les hommes, pas contre. Pour qu’une question féministe avance, elle doit embarquer les hommes avec les femmes. Être féministe ce n’est pas être contre les hommes.
Etre féministe ce n’est pas être contre les hommes.
Caroline Stevan
En écrivant ce livre, je me suis aperçu que la gentillesse, la bienveillance ou la modération ne fonctionnent pas toujours. Les suffragettes, au Royaume Uni, ont compris très tôt que cela ne marchait pas et qu’il fallait aller vers plus de radicalité. Leurs méthodes, provocantes et parfois violentes, ont été efficaces. Il peut falloir passer par du plus dur. Il faut se poser la question de ce qui est ou n’est pas radical selon l’air du temps. La radicalité doit toujours se mesurer à l’aune d’une situation immédiate.
Enfin, il ne faut pas mettre toutes les féministes dans le même panier, il peut y avoir des crispations différentes. Il y a autant de féminisme qu’il y a de féministes.
En cette année présidentielle, croyez-vous en la possibilité d’une Présidente de la République en France ?
J’espère qu’on est prêts. La société a évolué et il y a toujours des femmes candidates. On va vers ce chemin-là.
En Suisse, nous avons trois conseillères fédérales qui sont présidentes à tour de rôle. Donc, dans la confédération, nous allons avoir une femme présidente.
Et, pour un pays conservateur comme le mien, c’est un très bon signe !
Pour la France, la question n’est pas “va-t-on y arriver ? ” mais “quand va-t-on y arriver ?”.
Pour autant, d’Edith Brunschvicg à Nadia Jai, les femmes sont à des postes de responsabilité. Qu’est ce qui bloque cette avancée ?
On va cantonner les femmes à des postes “moins valorisants” (secrétaire d’État, conseiller, ministère rattaché…). Même ministres, elles vont être systématiquement positionnées sur des fonctions perçues comme plus féminines.
Il existe aussi un phénomène de cooptation, on promeut ses semblables, les hommes soutiennent les hommes.
Il faut aussi changer le regard des électeurs et des électrices sur ce que sont certaines fonctions ministérielles. Il n’est pas plus féminin d’être à la culture ou à la santé qu’être à l’économie ou la défense !
Il faut aussi changer le regard des électeurs sur ce que sont certaines fonctions ministérielles. Il n’est pas plus féminin d’être à la culture ou à la santé qu’être à l’économie ou la défense !
Caroline Stevan
Les choses se jouent sur le terrain pour le concret et dans les esprits pour la représentation.
Quel accueil a reçu votre livre ?
Un excellent accueil ! Je suis ravie, j’ai eu quelques séances de dédicaces qui ont fini trop tôt. Le public était très varié (femmes plus âgées en suisse, jeunes filles très militantes, des papas, des familles…).
Au début du livre, j’imagine une scène dans laquelle un enseignant définit la règle de vie. Les garçons ont tous les droits dans l’école, les filles n’ont aucun droit. Une sorte de métaphore d’une société dans laquelle les femmes ne pouvaient pas voter.
Une enseignante qui a lu mon livre a rejoué la scène dans son établissement. Pendant une semaine elle a favorisé les filles (filles assises avant les gars, encouragements, bonbons en cas de bons résultats…)
La semaine suivante, elle a inversé les rôles.
Après ces 2 semaines d’expérience, les enfants ont bien compris la métaphore. Lorsqu’ils étaient dans le groupe défavorisé, c’était difficile et ils s’en sont plaints. C’est lorsqu’ils seront, les unes comme les autres, devenu(e)s citoyens qu’il faudrait analyser leurs comportements.
L’éducation (scolaire, familiale, culturelle, environnementale…) est une clef majeure dans l’évolution des choses.
Quels espoirs pour le féminisme ?
Je termine le livre en souhaitant qu’il disparaisse. Il joue sur deux terrains. De grosses luttes et des chantiers concrets (égalité salariale par exemple) sont en cours.
Puis une couche très insidieuse, de l’ordre de la culture et des stéréotypes, a fait son apparition qui recrée les stéréotypes. Par exemple, les Lego “Friends” (que le packaging destine plus aux filles qu’aux garçons) sont plus faciles à assembler que ceux des garçons et mettent en scène de jolies maisons avec des spas.
Dans les années soixante-dix / quatre-vingt, sur les publicités Lego, les filles et les garçons assemblaient une fusée et le slogan disait : “Les enfants construisent l’avenir !“.
On est ici sur des choses qui peuvent sembler des détails, sur des photos dans les catalogues de jouets de Noël par exemple mais en réalité, on recrée du sexisme dans de nombreux domaines.
Je veux un féminisme de fond, un éveil des consciences. Il faut dresser un constat de tous ces “détails” mis bout à bout. Travailler sur ces “détails” beaucoup plus pernicieux. C’est un travail bien plus long et moins visible.
Je veux un féminisme de fond, éveil des consciences.
Caroline Stevan
Et, à chaque “entorse”, il faut dénoncer aux institutions. Les hot-lines, numéros verts, saisines… Existent et doivent être, par la force des choses, déplacées vers ces nouveaux terrains de féminisme.
En Suisse, les “bureaux de l’égalité” tiennent une veille et sont à l’écoute des alertes de la population.
En France, la saisine du défenseur des droits est le seul moyen d’alerte, il n’est pas proactif. Il faut utiliser les moyens mis à la disposition par les États pour promouvoir une véritable égalité.

Auteur Caroline Stevan Illustration Elina Braslina Editeur Helvetiq Date de parution 03/09/2021